Rencontre avec Christian Zutter, président de l’association Lausan’noir

Christian Zutter préside l’association Lausan’noir, organisatrice du festival du même nom. Portrait de l’ancien chef du protocole de la Ville de Lausanne, un passionné de polar, gourmand et curieux, qui a roulé sa bosse comme délégué CICR avant de pratiquer la négociation en terres vaudoises.

Lorsqu’Isabelle Falconnier, déléguée à la politique de la Ville de Lausanne, confie il y a deux ans la présidence de Lausan’noir à Christian Zutter, elle ne pouvait mieux tomber : il n’y a pas lecteur plus assidu, mordu d’énigmes et de romans noirs que lui. Entre gens de la «Ville», on se croise et on se comprend. De sa fenêtre sur la Place de la Palud, de ce mythique bureau de Jean-Pascal Delamuraz, l’ancien chef du protocole de la Ville de Lausanne en a vu, des Verts et des pas mûres, et tant de jeunes mariés arrosés de riz – l’enfer des employés de la voirie en charge de la propreté des pavés. Ces mêmes pavés qu’a battu Michel Bory en mijotant les enquêtes du fameux inspecteur lausannois Perrin : Christian Zutter connaissait le journaliste, génial touche-à-tout, bien avant qu’il se glisse dans la peau de l’inspecteur lausannois.

Tout commence dans la grande ville du bout du lac où Christian Zutter voit le jour. Licence de psycho en poche, le Genevois rejoint les rangs du CICR à vingt-cinq ans. Après une formation intensive sur le droit humanitaire, les réalités de la guerre et la vie en délégation, il souffle les bougies de son vingt-sixième anniversaire dans un avion pour Bagdad. Des camps de prisonniers de guerre, il mesure l’ascendant qu’un jeune délégué peut et doit avoir sur les dirigeants de ces camps, souvent colonels et très nettement ses aînés. En Ouganda, où une tripotée de présidents se succède après la fuite d’Idi Amin, il confirme son secours à «l’humanité souffrante», selon sa propre formule. Et comme la Croix-Rouge est une sorte de pays où la vie se déroule en marge de toutes les désolations, il quitte une guerre pour des Amériques, l’Afrique  pour un coup d’état… Dix années en tout, une vie à part où rien ne va de soi, où tout se négocie, entre adrénaline et empathie. 

Un besoin naturel de revenir à la «vraie vie» s’empare alors de lui: «J’avais envie de goûter au rythme des saisons, de viser un horizon plus sédentaire en somme… » La Syndique Yvette Jaggi le confirme alors dans son engagement à la Municipalité de Lausanne en qualité de secrétaire municipal adjoint, en charge notamment du protocole officiel. La négociation, il connait, où un brin de psychologie n’est jamais inutile, où la vie d’une institution se discute avec bon sens sans négliger une mauvaise foi toute bonhomme et vaudoise. En vingt-cinq ans, Christian Zutter devient le plus vaudois des genevois ou l’inverse. 

Se succèdent des saisons émaillées de chapitres de centaines de polars, avec un fidèle attrait pour les énigmes qui se dénouent là, à Grandson, à Yverdon, dans la Broye vaudoise ou fribourgeoise. Christian Zutter suit Michel Bory à la trace depuis leur rencontre au CICR. L’écrivain y situe d’ailleurs le contexte de l’intrigue intitulée «Les mensonges de l’inspecteur Perrin». Pour l’association Lausan’noir, Christian Zutter est un vrai président, rassurant, un homme «confortable» dont les yeux pétillent sans cesse, souvent voilés par la subtile volute d’une de ces cigarettes qui nous feraient recommencer à fumer… Au générique d’un polar, il serait juge, un magistrat aux airs à la fois aventureux et romanesques d’Hemingway ou Victor Hugo. Grâce à lui, il y a de quoi se réjouir du nouvel opus du festival Lausan’noir, après les sombres desseins de la nature et des virus qu’elle avait mis sur son chemin.

Pierre Dominique Chardonnens